Des yeux dans la nuit by Chevy Stevens

Auteur:Chevy Stevens [Stevens, Chevy]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Suspens
Éditeur: L'Archipel

22

Sur le chemin de l’hôpital, lundi matin, je me suis arrêtée au café bio du coin de la rue pour sacrifier au rituel de mon thé vert. Je repartais, un gobelet en carton à la main, quand j’ai aperçu Daniel assis seul dans un coin. Il lisait le journal, adossé au mur. Il a senti mon regard, car il a relevé la tête et, avec un sourire timide, m’a fait signe de le rejoindre.

— Bonjour, Daniel.

J’étais heureuse de le revoir. J’avais beaucoup pensé à lui, curieuse de savoir ce qu’il devenait.

— Je ne savais pas que vous habitiez par ici.

— Ce n’est pas le cas.

D’un mouvement de tête, il me montrait la direction de l’hôpital.

— Des papiers à signer.

Il avait maigri depuis l’enterrement. Le teint pâle, des poches noires sous les yeux, il ne s’était pas rasé depuis une éternité.

— Comment allez-vous, Daniel ? Vous tenez le coup ?

Il a haussé les épaules d’un air las.

J’ai désigné la chaise qui lui faisait face.

— Souhaitez-vous qu’on parle quelques instants ?

Je me voyais mal repartir sans tenter de lui apporter un peu de réconfort.

— Je vous en prie.

Il avait l’air perdu de ceux que noie le chagrin, après un décès. Les premiers jours, l’organisation de l’enterrement occupe l’esprit. Ensuite, le silence et le manque prennent le relais.

Daniel a attendu que je me sois assise pour s’exprimer.

— J’ai repris le boulot et je m’oblige à courir, mais Heather me manque tellement… Je suis incapable d’enlever ses affaires.

Personnellement, il m’a fallu des mois pour donner les vêtements de Paul, et j’ai dormi dans son pyjama pendant des années.

Daniel a secoué la tête.

— Je ne voudrais pas vous ennuyer avec tout ça. J’imagine que votre visite du matin vous attend.

— Ne vous inquiétez pas. Cela dit, je vous conseillerais volontiers de parler à quelqu’un si vous avez autant de mal. Pourquoi ne pas vous inscrire à un groupe de soutien ? Il en existe un à l’hôpital. Je peux vous envoyer par e-mail le nom de la personne qui s’en occupe.

— Non, je termine un dernier chantier, et puis je retourne vivre au Centre.

Ce besoin de retrouver un cadre familier s’expliquait aisément, mais le projet de Daniel m’inquiétait.

— Vous avez conservé le souvenir des moments heureux au Centre, vous croyez donc pouvoir échapper à la douleur. Malheureusement, il n’existe pas de raccourci. Je ne voudrais pas que vous portiez le poids de cette disparition toute votre vie. Il est très difficile d’être vraiment heureux tant qu’on n’a pas fait le deuil de l’être aimé.

— Tout paraissait logique, au Centre. Tandis qu’ici…

Il a secoué la tête.

— Là-bas, je me sentais utile. J’aidais les autres.

— Daniel, je comprends que vous cherchiez des réponses car vous souffrez. Il arrive pourtant qu’on tente de remplacer l’autre sans opérer de tri dans ses pensées…

— Je ne cherche pas à la remplacer. Je n’ai plus rien ici, alors que j’ai des amis au Centre. Des gens qui s’intéressent à moi, qui veulent me voir revenir.

— Leurs attentes et les vôtres ne sont pas forcément les mêmes.

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